Frédéric Naud

Sculpteur Français Contemporain

L’ingénierie humaine n’est qu’un processus organique naturel.

Survivre en tant qu'Artiste !

Écrit personnel sur la misère des artistes dans une société riche et dite moderne.

Éloge de la Misère Artistique dans laquelle notre société baigne.

Commençons par les faits. Une œuvre d’animation, réalisée en collaboration avec 3 autres artistes et qui a demandé 1 an de travail, est utilisée avec 300 autres œuvres d’autres artistes pour décorer pendant 3 ans un halle d’entrée d’immeuble.

Le niveau de rémunération des artistes pour cela est égal à 0€…

La genèse, tout part d’un immeuble réalisé manifestement par l’égo démesuré d’un.e architecte. Écrasant, stérile, au sein duquel l’humain ne trouve pas sa place, mais pour lequel l’auteur.trise, lui.elle a été payé.

Je vous invite à visiter ce lieu (3 mail du front populaire, 44000 Nantes) et vous rendre compte par vous-même. Les gestionnaires de cet espace de coworking le ressentent bien et le vivent, il faut faire quelque chose, mais quoi ?

Le premier réflexe est pourtant le bon, seul l’art peut travailler à tenter de ramener le vivant et l’humanité qui ont été oubliés et maltraités dans la conception même de cet édifice.

Et je parle bien d’art, pas de décoration.

Mais comment de cette évidence, que l’art peut apporter une chose aussi essentielle pour vivre dans un lieu, on en est arrivé à ne pas prévoir un budget pour nourrir les artistes qui travaillent à produire cette matière si indispensable ?

 

Il y’a un budget pour le bâtiment, un budget pour son entretien, un budget pour ceux qui s’occupent de l’entretien, il y un budget pour tout, même pour le papier toilette, mais pas pour ce que tout le monde trouve absent ! Donner envie de vivre dans ce bâtiment.

Cela ne choque que moi ? 

À priori, rien du côté des commanditaires, rien du côté des organisateurs, rien du côté des utilisateurs, qui ne se posent même pas la question et rien, même du côté des artistes…

Comment en est-on arrivé là ?

Cela amène à la question de la place réelle de l’art et des artistes dans l’échelle de valeur de nos sociétés contemporaines et capitalistes.

Malgré les belles expositions prestigieuses de quelques grands artistes connus, principalement pour valoriser les collections privées. L’art encensé de demain, produit aujourd’hui par des artistes parfois complètement inconnus, restent miséreux et dévalorisés.

Regardons comment dans une société aussi riche et dite moderne, les producteurs de culture, ciment identitaire d’une société, n’arrivent pas à vivre de leur travail.

Comme tous les métiers qui produisent les biens et les services, les véritables créateurs de valeurs plongent inexorablement vers une précarité financière et existentielle.

La première question est: Artiste est-il un métier ?

Il est important de se poser cette question, car si l’art est un hobby ou une activité passion, alors il est tout à fait concevable de ne pas pouvoir en vivre. 

Mais si l’art guérit, si l’art éduque, si l’art nourrit, si l’art produit un marché, alors tout comme l’agriculture, la banque ou l’éducation, l’art est une activité professionnelle, qui exige en retour d’un travail fourni une rémunération et des droits.

Pour approfondir, être artiste demande beaucoup plus que de passer un diplôme. Il ne résulte pas dans la simple application de méthodes toutes puissantes.

Il fait partie de ces rares métiers, où pour produire un art véritable, il faut commencer par plonger au cœur de son individualité. Découvrir qui l’on est et ce que l’on a de différents, afin de l’exprimer au travers d’un rendu singulier en maîtrisant différentes techniques pour donner vie à une œuvre…

Ce métier exige une exploration personnelle, prendre le temps que l’on a de moins en moins, pour se laisser devenir ce que l’on est vraiment.

Une fois cela dit, on comprend que ce qui est produit par les artistes ayant fait ce chemin est rare et précieux. Les individus qui décident de se lancer dans cette voie, doivent être déterminés et convaincus, mais surtout, ils n’ont pas le choix, c’est ce qu’ils sont.

Cette voie, comme beaucoup d’autres, est le plus souvent un chemin de précarité, de détresse, de doute et de souffrance, qui a cette particularité unique et fréquente d’amener une reconnaissance après la mort de l’auteur.

Mythe autodestructeur de l’artiste, incluant un sacrifice total de son vivant pour une gloire postmortem.

Ah voilà peut-être l’émergence des clés pour comprendre cette situation. 

  • Une standardisation, qui lisse l’individualité et rend plus difficile d’accès et la reconnaissance d’une valeur pour l’expression artistique individuelle.
  • Une dévalorisation généralisée de ceux qui produisent de la valeur, au profit des métiers intermédiaires, qui deviennent plus légitimes à cumuler de la richesse.
  • Une précarité consécutive aux premières, qui implique un double phénomène.
    • On se satisfait de peu, être présenté c’est déjà ça, ne vexons personne en demandant une rémunération. J’aurais presque pu payer pour être vu.
    • Et un individualisme prédominant avec une absence totale de solidarité qui dans le cas contraire, engendrerait qu’un projet non rémunérateur, ne trouverait aucun participant et serait dénoncé par une communauté forte et soudée. Comme ce qui se construit dans le milieu des NFT.
  • Et pour finir, une pression sociale indirecte, réminiscence d’un fantasme collectif, qui impose qu’un art véritable et issu d’un artiste génie en son temps, s’accompagne d’un sacrifice total et dévoué à son art de sa naissance à sa mort.

Vous allez me dire, et moi dans tout ça ?

Lâche et miséreux comme les autres, j’accepte d’être utilisé pendant 3 ans sans toucher d’argent, car je me dis que c’est peut-être ça, qui fera commencer quelque chose. Être vu, vaut mieux qu’être invisible.

J’accepte ce sacrifice et cette inutilité sociale dans l’espoir de laisser quelque chose de plus grand après moi. Petit pion de ce mythe de l’artiste incompris de son temps.

Résigné, comment changer l’image que la société, dans laquelle je vis, a sur mon travail artistique et ma place en son sein ?

 

J’ai faim !